Depuis vingt ans, nous remarquons un nouvel intérêt pour les phénomènes liés à l’immigration et à l’intégration des minorités ethnoculturelles. Avec la mondialisation, les mouvements de population se sont accrus et le développement des technologies d’information et de communication (TIC) contribue à multiplier les moyens d’information et de communication interculturelle. Les groupes d’immigration se diversifient: ils ont désormais la possibilité de maintenir un lien avec leur pays l’origine par le biais des médias, en particulier la télévision satellite et Internet. Ce double phénomène –accroissement des mouvements démographiques et développement des médias et des outils numériques– fait resurgir des craintes quant à l’intégration des groupes issus de l’immigration, notamment dans les pays ayant mis de l’avant des politiques axées sur le multiculturalisme. On s’inquiète du fait que le lien entretenu par le biais des médias puisse nourrir une loyauté au pays d’origine et susciter un enfermement culturel qui nuiraient non seulement à l’intégration à la société de résidence, mais aussi à la cohésion sociale et culturelle de cette dernière (Vertovec, 2004).
La question se pose avec une acuité particulière au Québec, attendus le statut de «minorité majoritaire» de la population «québécoise de souche» et le rôle qu’y ont joué historiquement les médias –la télévision et les téléromans, en particulier– en tant que véhicules d’une identité nationale partagée et revendiquée (Proulx et Bélanger, 2001).
L’enquête menée en 2009 par le GRM et le Centre d’études sur les médias sur l’Attachement des communautés culturelles aux médias –Le cas des communautés haïtienne, italienne et maghrébine de Montréal (Millette, Millette et Proulx, 2010) brossait pour la première fois un portrait des usages respectifs des médias destinés à ces communautés («médias ethniques»), des médias canadiens grand public (anglophones et francophones) et des médias du pays d’origine. Il est ressorti que ces différents médias font l’objet d’usages complémentaires, dont l’assemblage varie notamment en fonction de la langue d’usage, de l’âge, des goûts et des intérêts des personnes. Nous avions soulevé l’importance de l’offre et de l’accès aux médias et aux technologies numériques ainsi que du contexte d’accueil pour la construction de ces assemblages. La fréque ntation régulière à la fois des médias de la communauté d’origine et des médias grand public de la société de résidence nous avait incité à parler d’usages liés à une «identité double intégrée», c’est-à-dire une identité hybride, ancrée à la fois dans la communauté d’origine et dans la société d’accueil et qui est plutôt négociée que divisée.
Notre enquête, quantitative, ne permettait toutefois pas d’éclairer le rôle particulier joué par les différents médias, en particulier Internet, dans l’intégration et la négociation identitaire des personnes immigrantes et issues de l’immigration. Nous avons donc entrepris une deuxième phase de recherche, qualitative cette fois, pour mieux comprendre comment ces usages s’articulent à la négociation identitaire, dans le double contexte d’une accessibilité toujours croissante à des médias transnationaux et de la construction de menus médiatiques de plus en plus personnalisés. Notre recherche avait un double objectif, dont les volets sont complémentaires. D’une part, éclairer les liens entre les usages médiatiques et la négociation identitaire de jeunes adultes immigrants ou issus de l’immigration de la région de Montréal. D’autre part, comprendre le rôle joué par les médias dans leur processus d’intégration. Pour répondre à cette double question, nous pensons qu’il faut s’intéresser non seulement aux usages médiatiques, mais aussi aux motivations et aux contextes –vie quotidienne, trajectoire personnelle, habitudes familiales– dans lesquels ils se construisent. Adopter une telle perspective permet de mieux comprendre comment les manières de fréquenter (ou non) des médias de la société de résidence, du pays d’origine ou d’ailleurs dans le monde peuvent s’articuler au développement identitaire des jeunes issus de l’immigration.